Attaques terroristes : « Eviter la surenchère politicienne »

Le bilan est lourd. Très lourd. La douleur est immense. Incommensurable. Le 19 août, à Koutougou dans le Soum, face à une attaque terroriste d’« envergure » contre leur détachement militaire, 24 valeureux soldats burkinabè ont décidé de se sacrifier pour la défense de la patrie.

C’est la plus grosse perte jamais enregistrée par l’armée burkinabè depuis le début de cette guerre asymétrique. Il n’en fallait pas plus pour que certains politiciens ruent dans les brancards appelant à la démission hic et nunc du gouvernement. Non ! Il faut savoir raison garder.

Le Burkina Faso se trouve dans une situation tellement critique que sa classe politique doit se garder de toute fébrilité ou de toute velléité de récupération politique du terrorisme. Face à un ennemi plus que jamais déterminé, la meilleure riposte qui sied est celle de la clairvoyance, du sursaut patriotique, de l’unité d’action.

Les dernières attaques terroristes ont été savamment planifiées. Les terroristes ont décidé d’accomplir leur sale besogne de façon graduelle. Les faits parlent d’eux-mêmes :
- 14 août : Des soldats sont tués par un engin explosif improvisé au passage de leur convoi sur l’axe Toéni-Loroni, dans la province du Sourou.

- 15 août : Trois policiers sont tués dans une embuscade à Djibo-Mentao alors qu’ils assurent la protection du site des réfugiés.

- 19 août : La Brigade territoriale de gendarmerie de Nako, dans le Poni (région du Sud-ouest), est attaquée. Le bâtiment est à moitié incendié. On ne déplore aucune perte en vie humaine.

- 19 août : Le détachement militaire de Koutougou, situé à environ 70 km de Djibo, dans le Soum, est attaqué par des hommes armés à motos et en véhicules. L’attaque fait 24 morts dans les rangs de l’armée, 7 blessés et 5 portés disparus. En riposte, 40 terroristes sont neutralisés.

Même si la dernière attaque n’a pas été clairement revendiquée, de nombreux analystes y voient la marque déposée du groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), groupe né de la fusion le 02 mars 2017 du groupe Ansar Dine du djihadiste malien Lyad Ag Ghaly, du groupe Al-mourabitoune de l’Algérien Mokhtar Belmokthar et de l’Emirat du Sahara, une branche d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).

Du reste, ce groupe qui cible particulièrement les FDS, avait déjà revendiqué l’attaque contre l’état-major général des armées du Burkina Faso, le 02 mars 2018 à Ouagadougou. Si le GSIM est pointé du doigt, dans la région du Sahel, on parle aussi de l’action d’Ansarul Islam. Pour ses attaques, ce groupe recrute de nombreux jeunes sahéliens radicalisés du fait des nombreuses frustrations et des conflits intercommunautaires non résolus.

Comme nous pouvons bien le constater, les dernières attaques se sont focalisées sur les FDS. Les terroristes ont décidé de faire montre de leur capacité de nuisance en dépit de l’Etat d’urgence et des opérations militaires enclenchées par l’armée burkinabè. En réalité, le détachement militaire de Koutougou était la cible principale. Les terroristes n’ont pas opté pour une attaque frontale. Il fallait au maximum harceler les FDS, détourner l’attention et disperser les forces.

C’est pour cette raison que les attaques ont été planifiées pour s’exécuter dans un délai d’une semaine dans des régions diamétralement opposées. Il ne fallait laisser le moindre temps de répit aux soldats engagés sur le front. Avec l’attaque de Koutougou, la guerre entre dans une autre dimension.

Les terroristes seront enclins à récidiver. L’armée et toutes les composantes de la société burkinabè doivent donc rapidement tirer leçon de cette tragédie de Koutougou pour éviter que pareille situation ne se reproduise à l’avenir.

Le Burkina pris dans un tourbillon

Dans cette lutte contre le terrorisme, le Burkina Faso est en réalité pris dans un tourbillon d’intérêts géopolitiques et géostratégiques que les grandes puissances se disputent au Sahel. Plus le terrorisme perdurera, plus les ressources des pays en proie aux incessantes attaques seront exploitées sans coup férir. C’est un véritable capharnaüm.

Dans ce contexte, sauf à vendre totalement le pays, aucun homme politique quelque soit sa volonté ou son expérience, ne peut prétendre venir à bout du terrorisme par un coup de baguette magique. Cette solution miracle n’existe pas ! Le Burkina Faso doit au contraire travailler à renforcer sa résilience car le pays est malheureusement engagé pour plusieurs années dans cette affaire terroriste.

Exiger la démission d’un gouvernement issu d’une élection démocratique n’est guère la panacée. Cette exigence fait au contraire le jeu des terroristes dont l’un des objectifs est de rendre les pays ingouvernables pour pouvoir mieux les mettre sous coupe réglée.

En ces moments douloureux, les hommes politiques doivent faire preuve de transcendance pour comprendre que l’intérêt supérieur de la nation passe nécessairement avant toute ambition politique personnelle. Vouloir faire feu de tout bois, c’est contribuer à précipiter davantage ce pays dans l’abîme et scier la branche sur laquelle on est soi même assis. En politique, l’effet boomerang n’est jamais définitivement écarté. Il ne faut pas nécessairement attendre d’être au pouvoir pour apporter son expertise lorsque le pays est en danger.

Mais appeler les hommes politiques à faire preuve de dépassement de soi, ne doit, en aucune manière dédouaner les tenants actuels du pouvoir. Ils doivent impérativement faire montre d’une farouche volonté de combattre le terrorisme. En ce sens, il convient de réévaluer la menace pour réorienter l’opération Ndofu. Il faut aussi faire toute la lumière sur les évènements de Yirgou et d’Arbinda qui ont contribué à cristalliser bien de ressentiments dans les communautés.

Il n’est pas non plus superfétatoire que le Président du Faso endosse par moment son manteau de chef suprême des armées pour descendre sur le théâtre des opérations afin de galvaniser les boys tout en oeuvrant à les équiper conséquemment. Il urge aussi de renforcer la lutte contre la corruption, la mal gouvernance, d’opérationnaliser les conclusions du dialogue politique sur la situation sécuritaire et la réconciliation nationale.

Comme cela se constate sur le terrain, aussi salutaires qu’elles soient, les opérations militaires ne sont malheureusement guère suffisantes. Le Burkina Faso doit donc tendre vers une stratégie intégrée de lutte contre le terrorisme. Cette stratégie nécessite de profondes reformes et d’importants investissements. Les sillons sont déjà tracés. Il faut intensifier les efforts. Il faut aussi et surtout se convaincre d’une chose : le salut ne viendra ni du G5 Sahel ni de Barkhane. La solution est en chaque Burkinabè et en la capacité du pays à se réinventer face à un ennemi ondoyant.

Jérémie Yisso BATIONO
Enseignant chercheur
Ouagadougou

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